Elle se reposait entre de somptueux et larges draps de satin, ses jambes étendues encore douloureuses ; souvenir d'une marche quelque peu fatiguant la veille. Lady Leyan etait tout simplement exténuée de sa longue journée. Sur la table de chevet, trônait une tasse tiédie, un liquide ambré s’en dégageant visiblement réduit de moitié.
- Ce sera tout, mi lady ? Souffla une petite voix nasillarde à l'autre bout de la chambre tamisée, aux tentures pourpre. Cette voix appartenait à une femme âgée d'une bonne quarantaine, mais néanmoins très attractive, à la chevelure aussi noire qu’un jais, et au regard étincelant de vert ; tels deux émeraudes.
A sa demande, sa gouvernante Carlotta lui avait compté une petite histoire. Ou du moins avait lu un chapitre entier de l'un de ses ouvrages favoris, afin de faciliter son sommeil. Lady Leyan aimait particulièrement déranger ses domestiques dans cet unique but. Selon elle, cela l’aidait à dormir paisiblement, et évitait considérablement ses réveils nocturnes.
- Ce sera tout. Maintenant, pars, intervint l’aristocrate en fermant ses paupières, je suis fatiguée.
Son livre, vieux manuscrit relié de cuir était encore présent sur sa table de chevet. Elle y tenait véritablement. Pourquoi ? Même si cet ouvrage se trouvait déjà dans la bibliothèque de son père, le Gouverneur Leyan, cet exemplaire la en particulier lui tenait à cœur. Il lui avait été offert par son fiancé, au premier jour de leur relation. Elle avait évoqué un jour, lors d'un bal aristocratique, sa passion pour les vieux manuscrits. Afin de la séduire, Lord Beckett lui avait rapporté celui ci. Et c’est à ce moment précis, que la jeune femme sut qu'elle finirait par devenir sienne. Un homme capable de dénicher les plus belles perles littéraires, sans regarder le prix, pour satisfaire sa curiosité intellectuelle et sa fascination pour les reliures de cuir et le vieux parchemin jauni, ne pouvait être que l'homme idéal.
Tant fatiguée, Alecto ne remarqua pas que son employée venait de quitter la chambre. Carlotta etait la seule domestique qui avait aux yeux de la future madame Beckett, un grand intérêt. Malgré son âge avancé, Carlotta l’avait connue depuis son adolescence, et avait pris soin de Lady Leyan en l'absence de sa mère.
En dormant, l’aristocrate ne se rendit en première lieu pas compte d'une effraction. Les domestiques dormaient également, bougies éteintes, et personne ne pouvait lui venir en aide. Alecto se déplaça dans son sommeil, se penchant sur le côté à un moment, comme si quelque chose la perturbait. Comme si on troublait son sommeil. Et c'était effectivement le cas. Elle voulut hurler, lorsque la sensation d'une main se posant sur ses lèvres vint s'abattre brutalement, par surprise. Mais la menace du pirate, ainsi que de ces grands yeux clairs l’incitèrent a garder le silence. Alecto Leyan était tétanisée, elle avait peur. Plus que jamais.
Personne n’était la pour lui venir en aide cette fois ci, et la première personne à laquelle elle pensa fut son futur mari. S’il avait été la, qu’aurait-il fait ? S’il avait dormi à ses côtés, bien que les règles de convenance ne l’auraient guère permises, aurait-il agit ? L’aurait-il protégée des mains de ce vil pirate, malfrat des bas fonds, ignoble créature vouée au purgatoire et aux enfers ? Peut être pas. Il était avant tout un aristocrate, et non un homme de guerre.
Il faisait noir, et la jeune femme n’eut le loisir d'observer d'un peu plus près son ravisseur, elle l’imagina, au son de sa voix, d'une cruauté sans bornes. Elle l’imagina cruel, sale, hideux et sans aucun doute doté de bon nombre de complexes physiques disgracieux. Et o combien la jeune femme se trompait ! Si elle l’avait rencontré dans d'autres circonstances, alors peut être l’aurait elle trouvé très attirant.
Alecto émit un cri perçant, lorsqu'il l'attrapa par les hanches, touchant d'un peu trop près le fin tissu blanchâtre et fait de dentelle de sa chemise de nuit. Suspendue à l'une de ses épaules, sa longue chevelure blonde vénitienne, aux reflets cuivrés, en arrière, ondulant contre des joues et dévoilant une partie de sa nuque, Alecto Leyan se trouvait en bien mauvaise posture.
Humiliée, elle se renferma comme une huître, et refusa de parler a son agresseur, elle grimaça lorsque ce dernier se mit a traverser le port en courant, avec la ferme intention de réellement l’emmener jusqu'à son navire.
Et sous ses yeux, l’image radieuse de la ville de Port Royal lui semblait désormais bien lointaine. Des éclats de voix, de cris de colère et de peur raisonnaient de part et d'autres, parfois même joyeux. Des bâtiments en feu, qui ne deviendraient au petit matin que de vulgaires ruines noircies par la cendre.
Le chemin jusqu'au Jolly Roger se dessinait au loin, sur les quais d’ordinaire malfamés a cette heure tardive de la nuit. Alecto voulut se débattre, lui asséner des coups de coudes, dans l'espoir qu'il la laisse tomber sous le choc ; mais la vue d’autres brigands les entourant progressivement, l’effrayait. Des membres d'équipage. Des éclats de voix à connotation masculine , raillant, pestant a la fois d’envie devant les courbes féminines logées sur l'épaule de leur capitaine, et de frustration tant longtemps réprimés à bord de ce navire.
Alecto ne comprenait néanmoins pas pourquoi, il l’avait emmenée.
Pourquoi elle, pourquoi maintenant ?
Mais cela la tuerait très certainement de le lui demander.